COMPETITIVITE. En raison d'une dérégulation trop timide et d'une volonté d'entreprendre trop frileuse, la place économique helvétique perdrait une partie des avantages dont elle dispose .

  Selon une étude de McKinsey,
la Suisse perd de son attractivité

André Mudry, Zurich
Mardi 18 janvier 2000
Rubrique:  économie


La Suisse est en train de sortir d'une longue période de stagnation. Depuis 1992, sa croissance réelle n'a progressé que de 2,2%, tandis que l'Allemagne a gagné 5,3% et les Etats-Unis 10,6%. En matière de création d'emplois, la Suisse est également à la traîne puisque entre 1992 et 1998 elle a perdu 200 000 emplois alors que la Grande-Bretagne en a créé 2 millions et les Etats-Unis 13 millions. Selon une étude réalisée par la société américaine McKinsey et publiée par la Neue Zürcher Zeitung, cette contre-performance est due au fait que la place économique suisse est en train de perdre une partie des avantages dont elle dispose, notamment en raison d'une dérégulation encore trop hésitante. Pour les spécialistes de la société de consulting, des entreprises comme Nokia, British Telecom, Orange ou Deutsche Post ont pu se développer car elles se situaient dans des pays qui ont rapidement opté pour une dérégulation en profondeur, ce qui n'est pas le cas de la Suisse. Selon McKinsey, le manque de volonté d'entreprendre handicape également la place économique suisse. Ainsi, en 1998, la Suisse n'a enregistré que 2,3 créations d'entreprises pour 100 habitants, contre 3,4 en Grande-Bretagne et en Italie et 7,7 aux Etats-Unis. Une attitude suivie d'effets. Aujourd'hui, sur les 20 plus grandes sociétés américaines, six n'existaient pas en 1950, tandis qu'en Suisse, durant le demi-siècle écoulé, seule une grande firme a vu le jour. Il s'agit de Adecco.

Concurrents plus performants
Si la Suisse perd du terrain face à d'autres places économiques, ce n'est pas tellement parce que les conditions offertes se dégradent, mais car les concurrents ont réalisé des efforts substantiels en vue d'attirer les entreprises. Ainsi, la charge fiscale qui pèse sur les sociétés européennes s'est allégée alors que, dans le même temps, elle est restée quasiment identique en Suisse. Résultat: à l'exception de l'impôt sur le revenu et un très bon niveau de sécurité, Zurich est moins attractive que Londres, notamment au niveau du transport aérien, de la formation, de la langue, de l'offre culturelle et alimentaire. McKinsey constate d'ailleurs que seules 10 des 500 plus grandes sociétés européennes sont installées à Zurich tandis que la capitale anglaise en accueille 107.
Pour Urs Egger, chef de projet à l'Office pour le développement de la ville de Zurich, il n'y a toutefois pas lieu de comparer Zurich et Londres, car les deux cités n'évoluent pas dans la même ligne. Zurich devrait plutôt être comparée à des métropoles de taille plus modeste comme Munich, Amsterdam ou Bruxelles. Selon Urs Egger, le choix des critères utilisés pour établir une comparaison est également déterminant. Ainsi, Zurich serait mieux notée si l'on tenait compte de la qualité de vie et de la salubrité de l'environnement. Deux domaines dans lesquels elle se classe devant la capitale britannique. Urs Egger reconnaît cependant que des efforts devraient être entrepris. En reliant par exemple la cité des bords de la Limmat au réseau européen de trains à grande vitesse ou en améliorant l'offre d'écoles pour les enfants étrangers de cadres supérieurs.

Suisse très libérale
Moins bonne élève que par le passé, la Suisse se maintient toutefois parmi les premiers de classe comme le démontre l'«Economic Freedom of the World». Selon ce rapport publié annuellement par le Fraser Institute de Vancouver, la Suisse fait partie des 10 pays les plus libéraux de la planète. Elle se place en effet au neuvième rang derrière Hongkong, Singapour, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Australie et le Canada.
Si notre pays se défend très bien en matière de circulation des capitaux, de stabilité des prix, de politique monétaire, d'Etat de droit et de liberté de commerce, il est moins bien noté en revanche dans d'autres domaines comme la part de marché des institutions publiques dans le secteur bancaire ou encore le volume des dépenses étatiques par rapport au produit intérieur brut. Classée numéro trois en 1995, la Suisse a tout de même perdu six rangs. Elle s'en tire cependant mieux que l'Allemagne qui occupe désormais la 22e place alors qu'elle se classait encore au 7e rang en 1970. Contre-performance également pour la France qui recule, durant la même période, de la 16e à la 25e place.
Même si l'étude de McKinsey met le doigt sur ce qu'elle considère comme des freins au développement économique de la Suisse, la société de consulting reste toutefois optimiste par rapport à l'avenir. Elle constate notamment que le processus de globalisation est déjà bien avancé, mais regrette toutefois que les conditions-cadres offertes aux entreprises restent moins bonnes qu'en Grande-Bretagne. Selon la société de consulting, les responsables des entreprises helvétiques en sont d'ailleurs bien conscients. D'après un sondage, qui n'a pas valeur d'étude scientifique, McKinsey constate que 42% des chefs d'entreprise interrogés seraient prêts à réaliser une fusion avec une société étrangère et plus de 50% de ceux qui y seraient favorables accepteraient d'installer le siège de la nouvelle société à l'étranger. Ce qui ne manquerait pas de prétériter la place économique suisse. • ¶